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“Les 100 jours” d’épuisement

Mardi dernier, 11 juillet, la Première ministre a livré une curieuse et pathétique non-prestation lors des questions au Gouvernement. Pendant deux heures, Elisabeth Borne était là, au premier rang de l’hémicycle, sur le banc des ministres. Mais elle n’a répondu à aucune question des députés, préférant écouter d’une oreille distraite les réponses de ses ministres. 

Ce défilement de la Première ministre a ceci de curieux que dimanche dernier dans Le Parisien, elle s’était livrée à l’exercice faussement périlleux du bilan des “100 jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action au service de la France“- cette drôle de séquence bricolée par le président Macron pour sortir de l’impasse totale dans laquelle l’a plongée sa contre-réforme des retraites et qu’il avait annoncée en grande pompe le 17 avril dernier. 

Cet entretien au Parisien était un concentré d’autosatisfaction exprimé dans la novlangue managériale des cabinets de conseils dont la macronie raffole tant. Elle aurait “délivré“. Qui ? De quoi ? Pourquoi ? On ne sait pas. Elle serait sur un chemin :”On avance” proclame-t-elle fièrement. Vers où ? Avec qui ? Pour quelle perspective ? On ne sait pas non plus. 

Aussi mardi, malgré le vide politique de l’entretien accordé au Parisien je m’attendais – en amateur de la joute parlementaire – à ce qu’elle défende elle-même, au banc, son bilan des « 100 jours » ; qu’elle fasse front et réponde à nos interpellations en jouant le jeu de la dispute apaisé. C’est tout l’inverse qui est advenu et pendant deux longues heures, Elisabeth Borne a sublimé l’esquive et le mépris par sa présence mutique. Ce refus manifeste de répondre aux questions des députés et notamment à la question que je lui posais sur le bilan « des 100 jours » est révélateur d’un triple échec. 

Ce défilement sonne d’abord comme un aveu d’échec politique. La Première ministre s’est peut être rendu compte que la promesse d’apaisement s’est transformée en épuisement généralisé ; que sa politique épuisait tout, tout le monde, tout le temps : épuisement face à la crise énergétique en mettant fin au boucler tarifaire en juillet, épuisement face à l’inflation et à la crise du pouvoir d’achat (le pouvoir d’achat par unité de consommation stagne en moyenne en 2023 après une baisse de -0,4% en 2022), épuisement social avec le mauvais coup porté aux retraites, épuisement face à la crise des services publics, de la police (comme le montre le meurtre de Nahel et les débordements des nuits qui ont suivi) comme à l’hôpital (on ne compte plus les fermetures de services la nuit cet été) et évidement épuisement des ressources naturelles et de qualité de vie face à l’inaction climatique de son Gouvernement (une planification écologique qui plafonne à 25 milliards d’euros quand l’économiste en chef de la campagne d’Emmanuel Macron en 2017 en recommande 65 dans un récent rapport de France Stratégie). 

Échec démocratique ensuite. Au-delà du mépris dont il témoigne, cette séance de questions au Gouvernement a mis à nue l’épuisement démocratique de sa propre démarche : toujours plus de verticalité et toujours moins de compromis. Toujours plus de promesse de légiférer autrement et toujours plus d’opposition face à des initiatives transpartisanes comme la proposition de loi sur les déserts médiaux portée notamment par Guillaume Garot ou la proposition de loi pour interdire le démembrement d’EDF initiée par Philippe Brun. Ella a aussi voulu rappeler aux députés toute la verticalité de la Vème République et faire passer l’idée que le bilan des 100 jours échappe à la représentation nationale et appartient en propre au Président. L’exécutif qui s’auto-évalue et s’auto-contrôle, voilà le seul horizon démocratique du macronisme dans cette Vème République à bout de souffle et qu’il faut refonder d’urgence. 

Échec personnel enfin. Ce solipsisme est également une erreur pour sa propre image. Car in fine, ce n’est pas elle qui a fait lever les députés de la majorité – et aussi de l’opposition – lors de cette séance des questions au Gouvernement mais son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin (lorsqu’il a lu le nom des agents des forces de l’ordre tués dans l’exercice de leur fonction cette année). Faut-il y voir une forme de fatalisme ? A lire les journaux, c’était peut-être la dernière fois qu’elle se livrait à l’exercice des questions au Gouvernement. Seul l’avenir le dira et – anomalie terrible de la Vème République – seul le président de la République a la réponse à cette question. 

A vrai dire, les français s’en fichent. Ce n’est pas le casting qui compte mais le récit et les actes que posent un Premier ministre. Or, là, on les cherche en vain. Affaiblis par la réforme des retraites, avec le président de la République, ils ont voulu gagner du temps pour eux-mêmes. Mais ils en ont fait perdre au pays et aux français : les 100 jours d’apaisement resteront comme 100 jours d’épuisement. 




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