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La réforme des retraites n’est pas constitutionnelle ! Présentation de notre recours au Conseil Constitutionnel

L’opposition des parlementaires contre la réforme des retraites continue ! Ce 4 avril, nous déposons un recours au Conseil constitutionnel (CC) pour qu’il se prononce sur la constitutionnalité du PLFRSS pour 2023.

Je vous explique :

Le recours au Conseil se fonde sur l’article 61 de la Constitution : le président de la République, le Premier Ministre, les présidents des assemblées ou 60 députés ou sénateurs peuvent saisir le juge constitutionnel pour qu’il contrôle la constitutionnalité de la loi. L’idée alors est de dire que si les lois sont l’expression de la volonté générale, ces dernières doivent pour autant toujours respecter une série de normes suprêmes, en l’occurence celles définies dans la Constitution ainsi que l’ensemble des droits fondamentaux du bloc de constitutionnalité.

À ce titre et afin de veiller au bon respect par la loi des normes constitutionnelles, le contrôle de constitutionnalité du Conseil Constitutionnel a été instauré. Véritable protecteur des droits du bloc de constitutionnalité depuis la décision du 17 juillet 1971 « Liberté d’Association », le CC a ainsi pour mission de statuer sur chaque recours constitutionnel lui étant adressé et ce, en vertu de l’article 61 de la Constitution, dans un délai d’un mois (sauf si le Gouvernement demande qu’il tranche en 8 jours en cas d’urgence). Enfin, il est bon de noter qu’une saisine du CC suspend automatiquement le délai de promulgation de la loi et lorsque ce dernier est saisi d’un texte, il l’est de tout le texte et pas seulement des articles contestés. Il peut donc censurer une disposition qui n’a pas été contesté dans la saisine.

Ensuite, si le Conseil conclut à la conformité ou à la non-contrariété de la loi avec la Constitution, elle est obligatoirement promulguée. En revanche, si le texte est déclaré non conforme en totalité ou si une de ses dispositions déclarée non conforme est jugée inséparable de l’ensemble du texte, il ne peut être ni promulgué, ni mis en application, ni soumis à référendum. Enfin, si une ou plusieurs dispositions sont déclarées non conformes mais séparables de l’ensemble du texte, il peut être promulgué ou mis en application mais le cas échéant, amputé des dispositions qui auraient été censurées.

En l’occurrence, ce PLFRSS 2023 soulève un certain nombre de difficultés qui justifient la saisine du Conseil constitutionnel :

D’abord, le véhicule juridique choisi – le PLFRSS de l’article 47-1 – est selon nous constitutif d’un détournement de procédure. Ce choix a eu des conséquences très contraignantes sur les délais d’examen de la réforme par le Parlement : 50 jours maximum avant que le Gouvernement ne puisse décider de faire passer la réforme par ordonnance dont 20 jours à l’Assemblée et 15 jours au Sénat.Le CC a déjà estimé par le passé sur un autre type de texte financier que le choix de délais contraints devait être justifié par la « préoccupation d’obtenir en temps utile (…) l’intervention de mesures d’ordre financier commandées par la continuité de la vie nationale ». Or, sans qu’aucune urgence ne soit caractérisée et sans que soit en cause la continuité de la vie nationale, le Gouvernement a choisi d’utiliser une procédure très contraignante pour les délais d’examen pour une réforme des retraites.

Le choix de l’article 47-1 a aussi privé les assemblées parlementaires de l’étude d’impact qui aurait accompagné un projet de loi. Or, les débats parlementaires ont montré que la sincérité des informations transmises étaient contestables, remettant en cause les exigences constitutionnelles de clarté et de sincérité des débats. En effet, le 10 janvier dernier, le Gouvernement a indiqué par voie de presse qu’il allait utiliser un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour réformer notre système de retraite en passant par l’article 47-1 de la Constitution. Par ailleurs, jusqu’à présent, la procédure législative dite « ordinaire » avait toujours été privilégiée (loi n° 2003-775 du 21 août 2003 ; loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 ; loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014, pour prendre en exemple les trois dernières réformes).

Le Gouvernement a donc décidé de passer par un projet de loi de financement rectificative uniquement pour pouvoir utiliser le 49.3. En effet, depuis la révision de 2007, il ne peut plus utiliser le 49.3 qu’une fois par session hors texte financier (PLF, PLFSS, PLFR, PLFRSS etc). Pourtant, l’esprit de la réforme constitutionnel de 2007 était justement d’éviter que des réformes importantes pour la vie de la Nation ne soit expédié par 49.3 et que le Gouvernement compose plus qu’il ne le faisait auparavant avec le Parlement.

Au-delà, les projets de loi de financement de la Sécurité sociale sont encadrés par une loi organique, en l’occurrence, celle du 14 mars 2022 qui détermine ce qui doit figurer dans un PLFSS et un PLRSS afin que les comptes de la sécurité sociale soit bien tenus. Logiquement, il y a deux exigences qui pèsent sur les lois de financement rectificatives de la sécurité sociale, qui découlent de la loi organique relative au LFSS :

  • D’abord, il faut que les prévisions de recettes et dépenses pour l’année en cours justifient le recours à une loi de rectificative.
  • Ensuite, les dispositions de la loi rectificative doivent avoir un effet qui ne soit pas négligeable sur l’année en cours.

Or, depuis l’adoption du PLFSS en décembre, aucun changement économique n’est intervenu de nature à modifier les prévisions de recettes et de dépenses qui justifierait le recours à un projet rectificatif. L’absence d’urgence est manifeste. Le choix d’un tel véhicule n’est donc motivé par aucun autre motif que celui de l’opportunité politique d’encadrer les débats dans les délais prévus à l’alinéa 2 de l’article 47-1 et d’utiliser le 49.3

On peut aussi questionner la sincérité de l’information transmise au Parlement. Le Conseil Constitutionnel rappelle souvent l’importance des exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires, qui découlent directement de l’article 6 de la DDHC et de l’article 3 de la Constitution. Or, en l’espèce, l’étude d’impact comme le rapport sur les objectifs et les effets de la réforme sont particulièrement lacunaires et font souvent l’impasse sur l’ensemble des effets des dispositifs proposés.

De manière générale, on peut regretter l’absence d’évaluation fine de l’impact par décile de revenu, par genre et l’absence d’évaluation des dépenses sociales induites et des effets macro-économiques de la réforme dans les documents transmis au Parlement. Pour donner un exemple concret. La CNAV a tardé à envoyer les informations demandées par les présidents de la MECSS. Les informations transmises aux présidents l’ont été le 8 mars, soit après l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale.

On peut également constater l’absence de précisions dans l’étude d’impact et les documents transmis par l’exécutif au Parlement au sujet de la décomposition des effets de la revalorisation du minimum contributif, présentée à tort comme une retraite minimale à 1200 euros.

Enfin, le CC censure les « cavaliers sociaux », qui sont des dispositions sans effet financier, ce qui risque de remettre en cause l’index senior, la validation des périodes avant la titularisation, les fonds de prévention et la visite médicale des salariés exposés.

Pour toutes ses raisons, il apparaît manifeste aux yeux de l’ensemble des députés de la NUPES ainsi que ceux du groupe LIOT que le PLFSSR 2023 qui souhaite instaurer la retraite à 64 ans n’est pas conforme aux exigences de la Constitution et ne peut donc, à ce titre, entrer en vigueur dans les prochains mois. Ayant confiance dans la robustesse de notre analyse juridique, nous avons défendu un à un nos arguments auprès des sages du CC qui, nous l’espérons, annoncerons le 14 avril la non-constitutionnalité du texte.