

LCI : « Lutter contre l’isolement des aînés : ma méthode concrète et transpartisane »
Voir la ville avec un œil de vieux : ce que j’ai défendu ce matin sur LCI
Intervention dans « Carte sur Table » (LCI) – 10h35, avec Jean-Baptiste Boursier & Amine Doukhan.
Ce matin, j’ai choisi de parler d’un risque social massif mais trop peu regardé : l’isolement de nos aînés. À partir du dernier baromètre des Petits Frères des Pauvres, j’ai défendu une évidence trop oubliée : l’isolement n’est pas une fatalité individuelle, c’est un sujet de politique publique. Et c’est maintenant qu’il faut agir — localement, concrètement, trans-partisanement.
L’isolement, un risque social qu’on peut prévenir
À l’antenne, j’ai salué le travail des Petits Frères des Pauvres qui, chaque 1er octobre, mettent un coup de projecteur sur la solitude des personnes âgées. Nous vivons plus longtemps — c’est une formidable conquête. Mais adossé à ce vieillissement, se développe un vieillissement isolé. Pendant la crise Covid, j’ai mesuré, aux côtés d’Olivier Véran, combien la solidarité spontanée avait évité le pire. La question, depuis, est simple : comment pérenniser une politique de lutte contre l’isolement ?
Cela suppose de sortir du tête-à-tête culpabilisant avec les familles. Oui, la solidarité familiale compte. Mais l’éloignement, les décohabitations, les séparations, l’absence d’enfants… tout cela change la donne. La solidarité nationale doit compléter la solidarité familiale. Comme pour la Sécurité sociale en 1945, reconnaissons un risque à couvrir collectivement.
Un chantier trans-partisan, ancré dans le concret
Je l’ai dit : dans le « boxon » politique actuel, voici un sujet sur lequel nous pouvons nous retrouver. Pas des totems, des actes. Le vieillissement est un sujet de proximité : les communes sont les mieux placées pour repérer, prévenir, accompagner.
Cinq leviers immédiats et peu coûteux :
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Réintroduire des bancs tous les 150 à 200 mètres dans l’espace public. Ce n’est pas « glamour », c’est décisif : sans pause possible, on ne sort plus.
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Rendre les toilettes accessibles, via un label municipal avec les commerçants (« Ici, toilettes ouvertes sans obligation de consommer »), indemnisés modestement par la ville.
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Former aux “allers-vers” dans les CCAS : repérer les fragilités, passer la porte, ne pas attendre la demande.
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Adapter les transports au grand âge : conduite, annonces, montée/descente, cadencement… Un bus qui freine sec, c’est une chute évitable.
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Lutter contre la fracture numérique et rétablir des canaux humains (lignes téléphoniques où quelqu’un répond), car l’accès aux droits 100 % en ligne exclut.
À cela j’ajoute deux priorités :
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Mesurer pour mieux agir : nous manquons d’études médico-économiques sur le coût de l’isolement. Prévenir une chute, c’est éviter une hospitalisation et préserver l’autonomie. Investir en prévention coûte moins cher que réparer.
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Sécuriser le quotidien : lutter contre les arnaques qui poussent des milliers de personnes âgées à renoncer à Internet et à se replier. Sécurité et lien social vont ensemble.
Redonner leur place aux « vieux » dans l’espace public
J’assume le mot « vieux » — comme on dit « les jeunes ». Nommer, c’est visibiliser. Tant qu’on ne les voit pas, on ne les traite pas. Parlons sport, culture, sexualité, accès aux lieux : la vie ne s’arrête pas à 60 ans. Favorisons les initiatives intergénérationnelles (crèches à côté des EHPAD, ateliers partagés, mentorat). Et exigeons des médias qu’ils reflètent la réalité démographique du pays.
Méthode : coproduire avec les premiers concernés
À Nancy, un « plan bancs » a été conçu avec les personnes âgées, en marchant la ville ensemble pour décider où installer les assises, à l’ombre, sur les trajets utiles. Regarder la ville avec un œil de vieux, c’est dessiner une ville bienveillante pour tous : poussettes, personnes en situation de handicap, malades chroniques, travailleurs fatigués. La politique utile, c’est celle à hauteur de banc.
Et maintenant : passer à l’échelle
Je plaide pour :
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Une compétence explicite des communes en matière de lutte contre l’isolement, adossée à des moyens.
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Un programme national “aller-vers” (repérage des fragilités, visites à domicile, médiation numérique).
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Un fonds de prévention des chutes et d’adaptation des logements / voiries.
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La réouverture de canaux humains dans les services publics (objectif : « une demande, une voix humaine »).
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La généralisation des dispositifs de mise en relation type Paris en Compagnie à l’échelle nationale.
L’isolement n’est pas une fatalité, c’est un choix collectif. Nous pouvons — et devons — le combattre avec des politiques publiques simples, mesurées, évaluées. Moins de postures, plus de bancs. Moins de slogans, plus de liens. Voyons la ville avec un œil de vieux : nous y gagnerons tous.